Mithila Painting (français)




L'art des femmes peintres de la forêt de miel

MITHILA PAINTING
GODHANA PAINTING

Madhubani District, Bihar

Situé entre les contreforts de l'Himalaya et les plaines du Gange, le Mithila (aujourd'hui l'état du Bihar) fut le premier royaume aryen 1500 ans avant J.-C. (le Satapatha Brahmana, dont la rédaction daterait de 1500 ans avant notre ère, relate pour la première fois la colonisation aryenne de cette terre jusqu’alors inhabitée). Son histoire fut des plus riches. Ce fut là que naquit le fondateur du Jaïnisme et que Bouddha eut la révélation. Ce serait aussi à Madhubani (littéralement : forêt de miel) que le Mahatma Gandhi aurait décidé de prêcher pour la première fois sa doctrine, grâce à laquelle il voulait libérer l’Inde de l’économie anglaise.

Pourtant, l'état du Bihar est aujourd'hui l'un des plus peuplés et des plus pauvres de l'Inde.

Dans cet ancien royaume, ce sont les femmes qui peignent et qui transmettent leur savoir de mère en fille. On distingue trois styles précis correspondant à trois castes. Les brahmanes s'inspirent des textes sacrés et ont seules le droit d'utiliser les couleurs de leur choix. Les Kayashta(caste placée juste en dessous de celle des brahmanes) s'inspirent également des textes sacrés mais ne peuvent utiliser comme couleur que le noir et le rouge privilégiant ainsi le dessin à la peinture. Le style pictural des brahmanes et des Kayashta est connu sous le nom de Mithila painting.


Enfin les Dusadh (nominally "watchmen" according David Szanton), plus connues en Occident sous le nom d'intouchables, n'ont pas le droit de représenter les divinités et s'inspirent donc exclusivement du monde végétal et animal. Leur style, connu sous le nom de Godhana painting, est aisément reconnaissable par le fond bistre dont elles recouvrent systématiquement leur papier, celui-ci étant constitué à partir de bouse de vache diluée avec de l'eau.

A l'origine, toutes ces formes d'art étaient éphémères et réalisées à l'occasion de rituels précis à-même les murs des maisons ou sur le sol. Dans les années 60, l'aide du gouvernement indien permit à de nombreuses femmes de s'exprimer sur papier ou sur toile. Ces supports leur permirent d'exposer et de faire connaître leur art à travers toute l'Inde et aussi dans de nombreux autres pays.

Il est utile de préciser qu'au sein d'une production massive sans grand intérêt artistique, seules quelques femmes se sont distinguées par la qualité exceptionnelle de leurs oeuvres. Il est intéressant aussi de noter que, bien que la majorité de ces femmes réalise quotidiennement des oeuvres sur papier, toutes continuent aujourd'hui la pratique rituelle et éphémère de leur art ancestral.



L'origine de la peinture du Mithila semble très ancienne bien qu'il soit impossible d'en préciser la date.
Seuls les dessins des brahmanes ou des Kayashta nous apportent quelques indications. D'une part, tous les personnages dessinés ont un long nez (c'est ainsi que l'on désignait les premiers envahisseurs aryens, les "longs nez », ou que les népalais -voisins directs- décrivaient les étrangers), d'autre part, le style même de ces dessins, aux personnages toujours représentés de profil, est très proche de celui qui ornait les vases crétois.
Chez les Dusadh, certains dessins réalisés sur des supports très récents comme le papier, s'inspirent directement des motifs de leurs tatouages. On sait que la pratique du tatouage fait partie des premières manifestations artistiques de l'homme. Ainsi, l'origine de certains motifs Godhana encore utilisés pourraient remonter aux temps les plus anciens. Il est essentiel de conserver ces dessins et de consigner la signification de ces motifs, car dans cette région du monde les tatouages, signes de pauvreté (on se faisait tatouer les bijoux qu’on ne pouvait s’acheter), disparaissent.



Ganga Devi, Sita Devi et Mahasundari Devi font partie des premières femmes, artistes de la « forêt de miel », a avoir eu cette reconnaissance nationale et internationale dès les années 1970. Sita Devi et Mahasundari Devi incarnent le style pictural savant des hautes castes qui rappellent que cette région du Bihar fut l’un des berceaux du tantrisme. Yoni (représentation symbolique du sexe féminin) et linga (métaphore visuelle du sexe masculin) sont au centre de motifs complexes et savants, nommés Kohabar, peints rituellement sur les murs de la chambre nuptiale. La singularité de Ganga Devi fut de s’approprier ce style pour peindre aussi son quotidien. Ainsi, toute une série de dessins décrivent l’évolution de sa maladie, un cancer, ses voyages à Delhi pour se rendre à l’hôpital. Moyens de transport modernes, salle de soin et matériel médical sophistiqué y sont transposés dans ce style pictural parmi les plus anciens. Godawari Dutta excelle dans un style, celui des Kayastha, qui rappelle que ces dessins, nécessitant des heures de travail et de concentration s’apparentent, pour ces femmes, à une prière, à la méditation. Pushpa Kumari, la petite fille de Mahasundari Devi, assure la relève grâce à son style alliant avec une efficacité visuelle rare, classicisme et modernité. Enfin, Yamuna Devi fut la première intouchable à recevoir, dans les années 1980, un National Awardee. Chano Devi, autre intouchable, eu l’occasion d’affirmer un talent unique au cours de nombreux workshop, notamment en présence de Sonia Gandhi. De nos jours, ici comme ailleurs, même dans ces endroits les plus reculés de l’Inde, les notions de castes parviennent à s’estomper et il est de plus en plus fréquent de voir une intouchable s’exprimer dans le style pictural des brahmanes.



L’un des grands spécialistes du Mithila Painting fut un français, Yves Véquaud. C’est sur la route, en se rendant à Katmandou, qu’il découvrit l’art alors oublié de ces femmes. Subjugué, il y retourna de nombreuses fois et y séjourna à chaque fois plusieurs semaines, notamment en compagnie d’un de ses amis photographes, Edouard Boubat. Les textes de Véquaud et les photographies de Boubat constituent, aujourd’hui encore, le livre de référence sur ces formes d’art. Intitulé « L’art du Mithila » ce livre a été publié en français par les Presses de la Connaissance en 1976 et en anglais par Thames & Hudson en 1977.

Aujourd’hui, les routes du Bihar sont parmi les plus dangereuses de l’Inde. Il est fortement déconseillé de se déplacer la nuit, des bandits de grand chemin intervenant sur les routes. Corruption et violence ternissent tristement l’image de cet ancien royaume que même les touristes indiens évitent.

Curieusement, une fois encore, c’est l’art qui permet de parler positivement du Bihar, grâce particulièrement à Subodh Gupta, né en 1964 à Khagaul, près de Patna, capital du Bihar où il fit ses études d’art. Subodh Gupta est aujourd’hui l’un des artistes contemporains les plus renommés en Inde. Il incarne le renouveau de l’art contemporain indien sur la scène artistique internationale. Son œuvre emblématique : la réplique du toit d’un taxi « ambassador » sur lequel est arrimé colis et valises.

Liens :
Contemporary Tribal and Folk Arts of India
Mithila Painting
the-artists.org

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Copyright textes, photos et collection : Hervé Perdriolle

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